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Cormac McCarthy : La Route

“Après un effondrement dont on ignore la nature exacte, mais dont les conséquences écologiques sont lourdes, l’humanité se meurt. Le cycle de la vie s’est rompu. Les plantes ont dépéri et les animaux sont morts.”

La route occupe une place prépondérante dans la mythologie états-unienne. De nombreux stéréotypes historiques et technologiques lui sont associés. Les diligences suivent une route, de même que les automobiles et les Harley Davidson. La route n’est pas un chemin. Elle n’en a ni la discrétion, ni l’esthétique, même si elle partage avec lui un principe, qui est de faciliter et d’encadrer le déplacement. Les routes peuvent en outre conduire à des chemins, cachés ou non. Dans le cas des Etats-Unis, la route est intimement liée à l’imaginaire motorisée. Il est évident que la célèbre route 66, qui traverse le pays, est un poncif culturel inséparable des berlines massives et des motos stylisées qui l’empruntent. Ce poncif a été retourné non sans humour par les Texans avec le Cadillac Ranch, non loin d’Amarillo dans le nord de leur Etat. Les références culturelles de ce type sont évidemment présentes dans la musique, le cinéma, les jeux vidéo ou la littérature. Sur la Route, le roman de Jack Kerouac, en est une vision partageuse et fantasmée, dominée par l’utilisation de l’auto-stop.

La Route, écrit par Cormac McCarthy, adapté au cinéma en 2009 par John Hillcoat avec Viggo Mortensen, appréhende le thème d’une manière inhabituelle aux Etats-Unis puisque les protagonistes marchent. L’œuvre est un contrepoint sans être un antidote. Après un effondrement dont on ignore la nature exacte, mais dont les conséquences écologiques sont lourdes, l’humanité se meurt. Le cycle de la vie s’est rompu. Les plantes ont dépéri et les animaux sont morts. Les derniers humains en sont réduits à dénicher les boîtes de conserve qui subsistent ou au cannibalisme. Un homme et son fils en bas âge marchent vers le sud de la Californie parce qu’ils espèrent y trouver un temps plus clément, au propre comme au figuré. Les routes américaines, massives et fracturées, sont toutes devenues des chemins. On y marche pour s’évader ou pour chasser, toujours pour survivre.

Le Cadillac Ranch à Amarillo, Texas. Photo prise par l'auteur de ce blog, Fakh, en 1993.
Votre serviteur a marché sur la route 66 en 1993, mais il n’a toujours pas le permis de conduire… (Le Cadillac Ranch, Amarillo)

Depuis le suicide de la mère du garçon jusqu’à la mort émouvante du père en passant par la quête d’un ailleurs qui ne viendra jamais, le roman déconcerte pour plusieurs raisons. La principale habileté narrative consiste à faire des dialogues quelque chose de consubstantiel au récit en supprimant la typographie qui les caractérise. Ils tentent constamment, par des sauts à la ligne plus ou moins nombreux, de s’extraire sans jamais réussir, parvenant au mieux à être une excroissance vouée à s’étioler. Ces dialogues sont le double textuel d’une tentative de survie au grand récit d’un monde atone et violent. Ils sont aussi le pathétique combat d’une contingence tactique qui veut échapper au tragique. La stérilité du sol ne permet plus à l’humanité de se renouveler. Alors que Mad Max créait cette situation par une allégorie des conséquences des chocs pétroliers, allégorie dominée par l’automobile, La Route nous parle d’un monde où la lutte pour le pétrole n’est même pas évoquée. Tomorrow is the same day, et après ? On s’en remet au monde dont on constate qu’il n’apporte pas de solution.

Cette collapsofiction déroute (si j’ose dire) parce qu’il s’agit d’une fiction survivaliste qui ne dit pas son nom. Le questionnement écologique est absent et la stratégie se dilue jusqu’à disparaitre dans le quotidien. Il ne reste que l’amour d’un père pour son fils. Ce n’est pas rien, mais est-ce le véritable sujet ? Si nous voulons sauver nos proches, devons-nous attendre que tout soit perdu ? L’oiseau de Minerve prend son envol au crépuscule. Nous y sommes. La route se transforme en chemin. L’avenir est aux cartes odographiques.

La Mort de la Terre : la triste beauté

“Elle alimente la dimension tragique d’une œuvre qui présente au lecteur un crépuscule doux-amer.”

L’agonie écologique a pris des formes très différentes dans la fiction, de la violence automobile hors-sol dans Mad Max à la dystopie totalitaire dans Soleil Vert en passant par l’échappée spatiale dans Sid Meyer’s Alpha Centaury. Il est néanmoins arrivé qu’elle prenne une forme mélancolique. Publié en 1910, La Mort de la Terre de J.-H. Rosny aîné s’inscrit dans cette perspective. Méditative et poignante, cette longue nouvelle est caractérisée par le lancinant vacillement d’une humanité épuisée par sa propre vie. Elle est aux antipodes du scientisme qui florissait dans certains discours, en particulier politiques, avant la Première Guerre mondiale. S’il faut se garder d’opposer frontalement cette œuvre aux romans de Jules Verne, constamment présentés comme technophiles, comme le fait sa notice Wikipédia au moment où ces lignes sont écrites (Vingt-mille Lieues sous les Mers est-il technophile ? Le Château des Carpathes ? Il s’agit d’une étrange relecture, pourtant tenace, comme l’a souligné justement Gérard Klein…), il est certain que La Mort de la Terre s’inscrit dans une logique que l’on qualifierait aujourd’hui de décroissantiste. 

Plusieurs centaines de milliers d’années dans l’avenir, le genre humain survit dans les restes de sa puissance. Il s’est regroupé dans des oasis de vie, entouré par les déserts qu’il a lui-même créés. Il dispose encore de machines, comme des extracteurs d’eau ou des avions, mais les ressources se font rares et il est constamment menacé par des tremblements de terre. En outre, une étrange espèce préconsciente, les ferromagnétaux, prolifère sur les métaux disséminés aux quatre coins du globe. Un homme seul découvre par hasard une solution temporaire au problème d’eau qui constitue l’essentielle préoccupation de l’espèce, mais cette solution s’avère fragile. Elle alimente la dimension tragique d’une œuvre qui présente au lecteur un crépuscule doux-amer. 

Image de la BD La mort de la Terre
Adaptation de La Mort de la Terre par Robert Bressy en 1976.

La trajectoire humaine décrite est celle d’un inéluctable épuisement des ressources sur le modèle brandi aujourd’hui par les collapsologues. La thermodynamique nous condamne à consommer toute ce que la nature a mis à notre disposition et la technologie ne peut qu’aménager ou accélérer cette évolution. La Mort de la Terre constitue l’une des reformulations fictionnelles d’une tradition philosophique de type écologique, tradition qui s’exprime au XIXe siècle avec des auteurs comme Elisée Reclus ou à la fin du XXe siècle avec le Club de Rome. Elle se fonde, en simplifiant, sur le présupposé d’après lequel le progrès technique est hors-sujet en ce qui concerne le problème de l’épuisement des ressources, du moins en dernière analyse. Face à elle, se dresse une vision fondée sur l’innovation comme solution à ce problème. L’économiste William Nordhaus et son modèle DICE ont récemment argumenté en ce sens. Exprimé plus directement, il s’agit de savoir si l’humanité doit se modérer ou se dépasser, si elle doit être économe au sens étymologique ou si elle doit être économiste au sens classique. J.-H. Rosny aîné exprime l’une des plus fortes illustrations de la première tendance avec une œuvre dont la lecture incite à la tempérance. 

Fallout : les 5 meilleures manières de sortir d’un terrier (la seule en fait)

“Il s’agit donc pour le joueur de s’extraire d’une quintessence de la survie, l’abri survivaliste, pour vivre dans une autre, le monde dévasté.”

En 1997 sortait sur PC le premier jeu d’une série appelée à devenir l’une des plus célèbres de l’univers vidéoludique. Dans un monde à la fois post-apocalyptique et uchronique, Fallout relate l’histoire (presque) récurrente d’un héros issu d’un abri souterrain plusieurs décennies ou plusieurs siècles après une guerre nucléaire. Violence et humour grinçant sont au programme. Les techniques de survie sont centrales et la création du personnage offre des possibilités d’une rare précision. L’individualisme règne, il est la règle. La coopération est l’exception. Mais Fallout consiste aussi en une certaine idée de la survie.

En matière d’apocalypse fictionnelle tous les chemins mènent à Mad Max. Fallout ne fait pas exception avec son esthétique faite de guenilles, de poussière et de castagne. Le jeu qui est considéré comme le précurseur de la série, Wasteland, est d’ailleurs lui aussi fortement inspiré des films de Georges Miller. On note toutefois d’importantes différences. La première est que Fallout n’est pas dominé par la vitesse, l’automobile n’y occupe pas un rôle important. Il est certes possible d’acquérir une voiture dans Fallout 2, mais cela ne constitue pas l’armature principale du jeu. Les jeux sont articulés autour de déplacements lents, le plus souvent à pieds. En outre, dans un jeu de rôle (la majeure partie des Fallout relève de cette catégorie) la conception du personnage a une place cruciale. Le développement de ses attributs rythme la narration et la met en perspective. Il constitue l’essentiel de la stratégie du joueur. Dans un monde ouvert où une partie s’inscrit dans une longue durée, les sensations ne peuvent être aussi nerveuses que dans un film totalement dominé par ses rebondissements.

Capture d'écran du jeu Fallout
Le délabrement est essentiel dans l’ambiance précaire de la série Fallout. Il contraste avec avec l’ambiance amniotique des abris.

La seconde est que les héros n’ont ni la même origine, ni le même destin. Le monde de Fallout est d’abord uchronique. Après 1945, la technoscience se développe différemment. Des robots dotés d’intelligence artificielle et alimentés à l’énergie nucléaire se chargent désormais d’une partie importante des tâches quotidiennes. A la fin du XXe s., les ressources fossiles viennent à manquer et en 2077 une guerre nucléaire réduit la majeure partie de la planète en cendres. Des abris souterrains s’ouvrent après le conflit à des dates variables et laissent leurs occupants entrer en contact avec les survivants. Le joueur vient dans la plupart des Fallout de l’un de ces abris. Ceux-ci étaient souvent conçus pour constituer des expériences d’ingénierie sociale organisées secrètement par le gouvernement des Etats-Unis à l’insu des cobayes.

Dans Fallout, le joueur sort d’un abri pour chercher une puce électronique qui permet le filtrage de l’eau… et sauve le monde en affrontant une armée de mutants. Dans Fallout 2, il sort de son village pour le sauver de la famine… et sauve le monde du gouvernement post-américain devenu fou. Dans Fallout 3, il sort de son abri pour se sauver lui-même et sauve le monde d’une intelligence artificielle démente. Dans Fallout 4, il rentre dans son abri pour sauver sa famille et en sort pour la retrouver. Dans Fallout Shelter, il reste dans son abri pour affronter le monde. Ces variantes (cinq parmi d’autres) sont les diverses formes d’une constante.

Il s’agit pour le joueur de s’extraire d’une quintessence de la survie, l’abri survivaliste, pour vivre dans une autre, le monde dévasté. La première maintient ce qu’elle peut d’une vie normale en la concentrant dans un espace clos et fortement coopératif. La seconde abandonne l’illusion de la vie normale dans une boite de conserve pour identifier la vie quotidienne à un danger de chaque instant. Dans cette optique, on peut se demander si Fallout ne constitue pas une façon d’exprimer l’âpreté caractéristique de Mad Max dans un cadre humoristique et uchronique, si l’humour noir n’est pas une manière de faire passer une vision du monde où la précarité est la meilleure manière d’apprécier l’existence. Une approche plus générale, fondée sur des comparaisons systématiques avec d’autres œuvres pourrait répondre à cette interrogation.

Mad Max : à court de ressources ?

“Ce monde sans État, amer et stimulant, évoque davantage l’extrapolation dévoyée d’une vision libertarienne que des formes de coopérations anarcho-socialistes.”

Marqué par la violence et la pénurie, la série Mad Max est sans doute l’une des fictions post-apocalyptiques les plus célèbres. Elle est même devenue un stéréotype fréquent du survivalisme. Pourtant, le premier film ne s’inscrit pas dans cette veine crépusculaire et se limite plutôt à une histoire de vengeance, de combats automobiles et d’amour familial. C’est à partir de Mad Max 2 : Le Défi que l’enjeu du ravitaillement est définitivement posé pour donner une certaine vision de l’avenir, une antithèse de la perspective de la collapsologie fondée sur la coopération.

S’il fallait mentionner des caractéristiques de l’univers de Mad Max qui concernent l’écologie, l’aridité et la rareté arriveraient en tête. Dans un futur proche, le monde a connu un effondrement. Avec Mad Max 2, il n’est d’ailleurs plus qu’un vaste désert parcouru par des détritus humains aussi violents que voraces. La route (ou plutôt les sentiers de sable) est le principal moyen de déplacement et de combat. Des bandes de pillards ravagent, tuent et s’emparent de tout ce qui peut les intéresser. L’État n’existe plus.

Depuis 1979 (date du premier film) la série a utilisé plusieurs supports à commencer par le cinéma, mais aussi la bande dessinée et le jeu vidéo. Le premier Mad Max se situe dans un futur proche, ainsi que l’indiquent quelques mots après le générique, mais aucun signe clair ne montre que le récit est post-apocalyptique. Cependant, les films suivants présentent un cadre différent, beaucoup plus proche d’une vision « effondriste » ou du moins de certaines études connexes. Si l’on en juge d’après la description proposée par la dernière version du rapport Meadows, l’effondrement devrait présenter un certain nombre de caractéristiques dont certaines sont visuelles : « À l’échelle locale, le dépassement et l’effondrement sont visibles à travers les processus de désertification, d’épuisement des minerais et des eaux souterraines (…). Les fermes inhabitées, les villes minières désertées et les décharges industrielles à l’abandon sont toutes là pour attester la “véracité” d’un tel comportement du système ». Étant donné que la première version de ce rapport date de 1972, il n’est pas impossible que le producteur du film, Byron Kennedy, ou le réalisateur, Georges Miller, en ait eu connaissance. Toutefois, l’ambiance de Mad Max, qui relève plutôt de la fascination pour l’arbitraire et la violence, parait peu compatible avec l’éthique de responsabilité prônée (sincèrement ou non) par le Club de Rome, à l’origine du rapport. Le premier film Mad Max est scandé par des poursuites automobiles, par l’amour du héros pour sa famille et par le caractère implacable de sa vengeance, mais rien n’indique que cet univers soit marqué par les conséquences de grands problèmes militaires ou écologiques.

Image du film Mad Max deux personnages et une voiture
Le premier Mad Max n’aborde pas les questions de collapsologie. En revanche, il traite des thèmes de la violence et de la vengeance.

Mad Max 2 (1981) pose définitivement les traits typiques de la série, traits qui correspondent à ceux mentionnés par le rapport Meadows (à l’exception des voitures) mais qui trouvent plus probablement leur source d’inspiration dans la science-fiction littéraire, en particulier Route 666 de Roger Zelazny. L’origine de la désertification dans Mad Max est un grand conflit militaire. Dans ce cadre marqué par la pénurie, le moteur à explosion reste le principal moyen de déplacement et la lutte pour le pétrole, devenu rare, est impitoyable. Alors apparait pour la première fois dans cette série la question de l’énergie, qui se maintient sous diverses formes jusqu’aux dernières productions. Dans Mad Max 2, l’enjeu est simple : des individus ou des groupent luttent sans merci pour le contrôle de l’essence et davantage encore pour celui de sa production. Une bande de pillards assoiffée de sang assiège un site d’extraction défendu par un groupe au profil psychologique plus complexe (tous font preuve d’humanité mais avec des degrés de fourberie variables). Ce siège constitue l’armature principale du récit, avec le sort individuel du personnage principal, Max, incarné par Mel Gibson.

On peut s’interroger sur la crédibilité d’une histoire qui fait de l’essence un enjeu de survie alors que des problèmes d’alimentation élémentaires pourraient surgir. Ils ne sont d’ailleurs pas posés dans le film. Globalement, ce monde sans État, amer et stimulant, évoque davantage l’extrapolation dévoyée d’une vision libertarienne que des formes de coopérations anarcho-socialistes. L’entraide s’y présente comme une nécessité à laquelle il faudrait se résoudre et la compétition, individuelle ou collective, comme la règle. Toutefois, si la teneur de l’œuvre fait penser au survivalisme, aucun auteur survivaliste sérieux ne décrit un tel scénario, organisé autour de gens davantage occupés à trouver de l’essence qu’à se nourrir. Le règne sauvage de l’automobile est un oxymore narratif, d’ailleurs réussi, qui maintient certains impératifs des sociétés pré-apocalyptiques industrielles.

Dans Mad Max : au-delà du dôme du tonnerre, troisième film de la série (1985), la lutte pour l’énergie change de nature pour prendre des accents qu’on pourrait audacieusement qualifier de marxistes. Dans une cité de fortune qui a poussé dans le désert, la superstructure étatique est dirigée par une femme (Tina Turner) qui entend conserver le contrôle total sur sa ville. Malheureusement pour elle, l’approvisionnement en électricité est assuré en sous-sol par le traitement des déchets, traitement dont l’ingénieur est un nain juché sur les épaules d’un géant simplet. Il détient l’infrastructure énergétique. Le problème est que cet ingénieur, plutôt que de rester discret, a décidé d’exprimer son importance en public, ce qui n’est pas sans menacer l’autorité de celle qui dirige la cité. Le pouvoir, s’il veut subsister, a intérêt à tenir certaines choses secrètes.

Si les grandes caractéristiques visuelles de Mad Max 2 se retrouvent dans Au-delà du dôme du tonnerre, la lutte pour l’énergie prend une tournure moins frontale et se teinte d’un questionnement sur la réalité du pouvoir. L’effondrement civilisationnel se traduit par l’explicitation d’une guerre de tous contre tous dans le deuxième film, en dépit de quelques alliances de circonstances. En revanche, dans le troisième film, l’émergence d’une civilisation de bric et de broc pose immédiatement le problème de la pérennité du pouvoir, c’est-à-dire de la dissimulation politique. C’est sous-entendre que l’égoïsme et l’État, qui en est le résultat, sont des lois naturelles et qu’ils reviennent systématiquement à chaque table rase. Cette vision est aujourd’hui rejetée par les collapsologues, comme Pablo Servigne et Gauthier Chapelle dans leur livre L’Entraide, l’autre Loi de la Jungle. Ceux-ci font de la coopération le socle d’une société stable.

Série de films « survivalistes » nés à la fin des années 70 et au début des années 80 du XXe siècle, Mad Max met au jour le malaise de la contre-culture américaine à l’époque de Reagan comme l’ont fait d’une autre façon certains films comiques de la volte-face mitterrandienne en France (Promotion canapé, P.R.O.F.S.). Le ton n’est pas le même, mais le principe est identique : il s’agit d’utiliser l’état d’esprit libertaire pour valoriser une anthropologie libérale.

Cette perspective se maintient dans Mad Max : Fury Road, réalisé en 2015, mais dans un contexte différent. Ce film est imprégné par une manière d’orchestrer les combats qui évoque le « wagnérisme » d’Apocalypse Now. L’esprit originel, austère et faussement chaotique, cède sa place à une sorte d’opérarock. Si la lutte pour les ressources et les batailles de véhicules sont toujours là, on voit aussi se constituer un camp du Bien et un camp du Mal globalement identifiables. Le tournant socio-économique qui a vu le gauchisme se diviser dans les années 70 et engendrer des films ambigus, comme les premiers Mad Max, est loin. Les standards du film industriel sont parfaitement respectés, même s’ils se parent d’une violence qui n’est plus qu’un simulacre de provocation. L’austérité brute, troublante, de certains films d’action ou de science-fiction, tels Terminator, Alien ou Conan le Barbare, a cédé la place à des suites formatées. On est donc passé d’un cinéma contestataire dans les années 70 à un cinéma fuyant dans les années 80 puis à un cinéma soumis, le signifiant faisant diversion mais finissant par s’aligner sur le signifié. Il pouvait difficilement en être autrement, moins parce que le gauchisme avait été vaincu par ses ennemis que parce qu’il était à l’origine contradictoire.

Image film Mad Max Fury Road concert de voitures
Mad Max : Fury Road, diffusé en 2015, propose une esthétisation musicale et pyrotechnique de cet univers et sacrifie une partie de l’austérité rêche des premiers films.

Étrangement, la série Mad Max, tout en correspondant à ce changement entre le troisième et le quatrième film, a une évolution inverse si l’on considère ses trois premiers. D’une œuvre mettant en scène l’inexorable victoire de la violence sur la sensibilité par des événements imprévisibles, cette série évolue vers un deuxième film marqué par une lutte apolitique pour les ressources pétrolières puis vers un troisième film qui aborde la question du non-dit sur le fondement du pouvoir. Le mouvement va donc d’une sorte de tragédie chaotique à un semblant de prise de conscience philosophique. Le quatrième film, beaucoup plus tardif, correspond en revanche à l’évolution générale. Faut-il voir dans tout cela des choix conscients de Georges Miller ? Est-ce lié à l’idéologie personnelle de Mel Gibson, dont le parcours ultérieur, surtout en tant que réalisateur, ne manque pas d’interroger ? Quoi qu’il en soit, cette trajectoire mériterait d’être étudiée plus avant.

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