En 1997 sortait sur PC le premier jeu d’une série appelée à devenir l’une des plus célèbres de l’univers vidéoludique. Dans un monde à la fois post-apocalyptique et uchronique, Fallout relate l’histoire (presque) récurrente d’un héros issu d’un abri souterrain plusieurs décennies ou plusieurs siècles après une guerre nucléaire. Violence et humour grinçant sont au programme. Les techniques de survie sont centrales et la création du personnage offre des possibilités d’une rare précision. L’individualisme règne, il est la règle. La coopération est l’exception. Mais Fallout consiste aussi en une certaine idée de la survie.
En matière d’apocalypse fictionnelle tous les chemins mènent à Mad Max. Fallout ne fait pas exception avec son esthétique faite de guenilles, de poussière et de castagne. Le jeu qui est considéré comme le précurseur de la série, Wasteland, est d’ailleurs lui aussi fortement inspiré des films de Georges Miller. On note toutefois d’importantes différences. La première est que Fallout n’est pas dominé par la vitesse, l’automobile n’y occupe pas un rôle important. Il est certes possible d’acquérir une voiture dans Fallout 2, mais cela ne constitue pas l’armature principale du jeu. Les jeux sont articulés autour de déplacements lents, le plus souvent à pieds. En outre, dans un jeu de rôle (la majeure partie des Fallout relève de cette catégorie) la conception du personnage a une place cruciale. Le développement de ses attributs rythme la narration et la met en perspective. Il constitue l’essentiel de la stratégie du joueur. Dans un monde ouvert où une partie s’inscrit dans une longue durée, les sensations ne peuvent être aussi nerveuses que dans un film totalement dominé par ses rebondissements.

La seconde est que les héros n’ont ni la même origine, ni le même destin. Le monde de Fallout est d’abord uchronique. Après 1945, la technoscience se développe différemment. Des robots dotés d’intelligence artificielle et alimentés à l’énergie nucléaire se chargent désormais d’une partie importante des tâches quotidiennes. A la fin du XXe s., les ressources fossiles viennent à manquer et en 2077 une guerre nucléaire réduit la majeure partie de la planète en cendres. Des abris souterrains s’ouvrent après le conflit à des dates variables et laissent leurs occupants entrer en contact avec les survivants. Le joueur vient dans la plupart des Fallout de l’un de ces abris. Ceux-ci étaient souvent conçus pour constituer des expériences d’ingénierie sociale organisées secrètement par le gouvernement des Etats-Unis à l’insu des cobayes.
Dans Fallout, le joueur sort d’un abri pour chercher une puce électronique qui permet le filtrage de l’eau… et sauve le monde en affrontant une armée de mutants. Dans Fallout 2, il sort de son village pour le sauver de la famine… et sauve le monde du gouvernement post-américain devenu fou. Dans Fallout 3, il sort de son abri pour se sauver lui-même et sauve le monde d’une intelligence artificielle démente. Dans Fallout 4, il rentre dans son abri pour sauver sa famille et en sort pour la retrouver. Dans Fallout Shelter, il reste dans son abri pour affronter le monde. Ces variantes (cinq parmi d’autres) sont les diverses formes d’une constante.
Il s’agit pour le joueur de s’extraire d’une quintessence de la survie, l’abri survivaliste, pour vivre dans une autre, le monde dévasté. La première maintient ce qu’elle peut d’une vie normale en la concentrant dans un espace clos et fortement coopératif. La seconde abandonne l’illusion de la vie normale dans une boite de conserve pour identifier la vie quotidienne à un danger de chaque instant. Dans cette optique, on peut se demander si Fallout ne constitue pas une façon d’exprimer l’âpreté caractéristique de Mad Max dans un cadre humoristique et uchronique, si l’humour noir n’est pas une manière de faire passer une vision du monde où la précarité est la meilleure manière d’apprécier l’existence. Une approche plus générale, fondée sur des comparaisons systématiques avec d’autres œuvres pourrait répondre à cette interrogation.
Pour ce qui est du lien entre post-apocalyptique et humour noir, rien n’égale Hokuto no Ken.
https://www.youtube.com/watch?v=SyWxK58Y0cI
Mais la piste des jeux vidéo est intéressante. Et riche. J’imagine que dès l’Atari 2600 il y a dû y avoir des titres sur le sujet.
Côté cinéma le dernier film s’apparentant au genre que j’ai vu est “Avant que nous disparaissions”, de Kiyoshi Kurosawa, sorti sur nos écrans il y a deux ans je crois. Le compte à rebours apocalyptique est d’ailleurs un thème récurrent chez ce cinéaste. Si tu ne connais pas, je recommande.
Je ne connaissais pas cette publicité Ken, qui est effectivement hilarante. Le film semble attrayant (si j’ose dire) aussi. Ken le survivant relève en effet de l’ambiance désolée des steppes, même si je ne prétends pas bien connaître la série. C’est une sorte de Mad Max des arts martiaux délirant (surtout la version française). Mais je ne me souviens plus de la cause de l’apocalypse dans Ken.
“Mais je ne me souviens plus de la cause de l’apocalypse dans Ken.”
Oh ! classique : une guerre mondiale nucléaire.
Bien avant Ken, il y a eu dans le même style Violence Jack, de Go Nagai (l’auteur de Goldorak) :
“En l’an 197X, la civilisation s’effondre à la suite d’une série de catastrophes aux causes inexpliquées. Libérés des lois, les hommes montrent leurs vrais visages. La vie devient rythmée par les viols et les meurtres. Dans ce nouvel enfer, apparaît le Slum King, un géant portant une armure de samouraï et un masque cachant un visage que personne n’a jamais vu. Un jour, l’espoir revient sous les traits d’un monstre, Violence Jack.” (Wikipedia)
En comparaison, Hokuto no Ken ferait presque figure de shojo manga.
Oui, j’ai regardé. “Violent Jack” relève à la fois de la science-fiction et du fantastique. Il y a toujours quelque chose d’eschatologique dans le post-apocalyptique, ou plutôt le contraire puisqu’il raconte la vie après la fin du monde. Les géants et les démons sont bibliques. Et c’est extrêmement violent, comme presque toute fin du monde. Il y a une eschatologie dans le shintoïsme ?
Bonne question. Franchement je n’en ai pas l’impression. C’est plutôt le bouddhisme qui prend en charge le discours eschatologique.