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L’Effondrement sur Canal + : collapsosurvie…

“C’est un combat psychologique et physique de chaque instant.”

Les liens entre collapsologie et survivalisme sont denses et ambigus. Alors que la première insiste plutôt sur l’entraide dans une perspective eudémonique, le second, sans exclure la coopération, se la représente d’abord comme une manière d’accroître les capacités des individus face à l’effondrement. Piero San Giorgio montre d’ailleurs qu’une organisation en groupe augmente la pérennité d’une véritable organisation survivaliste. Ce que la collapsologie, discipline libertaire, conçoit d’abord comme un épanouissement conduisant à de l’efficacité, le survivalisme, ensemble de méthodes d’inspiration libertarienne, le conçoit comme de l’efficacité pouvant conduire à un plus grand équilibre personnel.

Le série L’Effondrement, diffusée à partir du 11 novembre 2019 sur Canal +, concentre cette dialectique qui, comme dans toute véritable dialectique, comporte une majeure et une mineure. Cette série est créée à un moment où le thème de l’effondrement effectue une percée publique. Depuis le milieu des années 2010, la collapsologie, dans le sillage d’auteurs comme Pablo Servigne ou Yves Cochet, gagne en renommée. Le survivalisme est un sujet qui taraude nos sociétés par intermittence depuis longtemps, même si sa perspective a varié (la guerre froide et les bunkers antiatomiques ont cédé la place à la figure du survivant agile et souple).

Image de policier pointant une arme vers le ciel
Les rapports de forces imprègnent la série.

L’Effondrement paraît s’inscrire dans une optique collapsologique au sens où son principal tropisme semble anarcho-socialiste. Cette impression est renforcée par le grand nombre de personnes non-préparées qui apparaissent dans la série. A quelques exceptions près (les habitants du lieu-dit « Le Hameau », communauté autonome constituée à des fins de résilience), les personnages sont surpris par les événements et tentent de se débrouiller comme ils peuvent. Même les puissants qui se sont protégés avec des contrats de sécurité (dans les épisodes L’aérodrome et L’Ile) ne réussissent pas facilement à en bénéficier. C’est un combat psychologique et physique de chaque instant. Alors que certaines situations se prêteraient sans difficulté à des formes de convivialité, elles sont chargées d’une toxicité latente qui constitue le principal ressort narratif de la série. L’univers décrit est anxiogène, menaçant. Un groupe d’amis tente de s’organiser dans un supermarché, mais ils font face à la présence d’agents de sécurité sourcilleux. Un jeune homme soigne des personnes âgées dans une maison de retraite, mais il est tenaillé par la question de l’euthanasie. Des gens se relaient et s’entraident… dans le but d’empêcher une centrale nucléaire d’exploser. Ces personnes ordinaires, que tout pourrait conduire à plus d’épanouissement par l’entraide, soit se comportent comme des prédateurs, soit coopèrent dans l’urgence. L’ensemble est trépidant, souvent haletant, caractéristiques renforcées par le fait que chaque épisode est filmé en un seul plan.

On peut se demander si L’Effondrement n’a pas pour objectif de brouiller les pistes en envoyant son signifié dans une direction, celle de l’entraide, et son signifiant dans une autre, celle de l’anxiété ainsi que du conflit. Si le message du dernier épisode, intitulé L’Emission, est clairement un rejet du chacun pour soi, il reste cependant de l’ensemble l’impression d’une permanence des rapports de forces immédiats. Il est possible que cela change dans d’éventuelles prochaines saisons et il est encore trop tôt pour savoir si cette série dit le contraire de ce qu’elle veut dire ou si elle veut dire le contraire de ce qu’elle dit.

La Variété Andromède de Michael Crichton : que fait le gouvernement ?

“Le véritable danger provient du facteur humain puisqu’il est un temps envisagé d’utiliser une bombe nucléaire pour détruire le site de recherche et empêcher la contamination.”

L’œuvre de Crichton se caractérise par la variété de ses récits ainsi que par son effort de documentation. Publié en 1968 dans un contexte de guerre froide, La Variété Andromède est l’un des premiers romans de l’auteur. Il surprend par ses abondantes précisions sur le système d’alerte américain en cas de danger bactérien ainsi que par ses nombreuses insertions relevant de la philosophie des sciences. L’histoire est un exemple surprenant de « non-résolution » de problème sans que cela nuise pourtant à l’intensité du propos. Elle offre surtout de nombreux détails sur la manière dont les autorités de l’époque envisageaient la lutte contre un problème sanitaire national.

Une infection bactérienne extraterrestre causée par les imprudences d’un satellite en orbite basse autour de la Terre pourrait sembler aujourd’hui une hypothèse totalement saugrenue. On voit mal comment un organisme de ce type pourrait durablement prendre ses aises dans les couches supérieures de l’atmosphère et encore moins comment il pourrait profiter de la chute d’un engin spatial pour contaminer la surface. Ce scénario a pourtant été envisagé dans les années 60, à une époque où le nombre de satellites était encore peu important et où les connaissances sur la banlieue de notre planète étaient faibles. La NASA, les services secrets et l’armée américaine considèrent même encore sérieusement cette éventualité.

Michael Crichton en part pour construire un roman où un groupe de quatre scientifiques (médecins et biologistes) sont placés par des procédures d’urgence à la tête de l’organisme chargé de combattre une crise de cet ordre. Un satellite de recherche s’écrase accidentellement dans l’Arizona et contamine une ville, tuant ses habitants en quelques minutes. Les premiers militaires dépêchés sur les lieux sont eux aussi foudroyés par la bactérie. Seul un clochard et un nourrisson semblent mystérieusement épargnés. L’auteur bâtit son récit comme une sorte de roman d’anticipation à court terme où les développements scientifiques, techniques et philosophiques foisonnent. Deux adaptations ont vu le jour, la première au cinéma en 1971 et la seconde en mini-série en 2008. Un autre roman, une suite, est prévu pour novembre 2019.

Les incises explicatives détaillent des technologies qui peuvent de nos jours apparaitre comme banales, mais aussi des questionnements scientifiques qui font du livre autant un texte de vulgarisation qu’un roman. Durant l’enquête menée dans l’angoisse par les quatre savants afin d’empêcher une contamination mondiale, la plupart des hypothèses considérées à l’époque pour faire face à cette situation sont expliquées quand elles ne sont pas argumentées. De quel type de bactérie peut-il s’agir ? Comment se propage-t-elle ? D’où vient-elle ? Comment donne-t-elle la mort ? Mais aussi : Comment fonctionne le matériel informatique ? Les services concernés ? Quels sont les derniers procédés médicaux de pointe ? Les techniques de cryptage ? On s’approche du travail réalisé par Crichton beaucoup plus tard pour la série Urgences.

            (Attention, ce qui suit relève du divulgâchis)

Pourtant, l’intrigue se résout par une pirouette plus proche de La Guerre des Mondes de H. G. Wells que d’une apologie des possibilités de la science. La bactérie mute d’elle-même en s’adaptant à l’environnement terrestre et devient inoffensive. Les scientifiques apprennent l’essentiel au péril de leur vie mais n’ont pas à utiliser leurs connaissances pour sauver la planète. Le véritable danger provient du facteur humain puisqu’il est un temps envisagé d’utiliser une bombe nucléaire pour détruire le site de recherche et empêcher la contamination. Le problème est que cette solution radicale ne causerait qu’une accélération de l’infection. Les savants s’en aperçoivent juste à temps pour éviter le pire, qui résulte de leur propre inconséquence. Si la peur vient de l’infection, la véritable menace provient des erreurs humaines.

Image du film La Menace Andromède
Les autorités s’affairent dans La Menace Andromède, adaptation du roman de Michael Crichton en 2008.

Ce texte ne relève pas d’une perspective collapsologique au sens d’une activité humaine générale qui menacerait la civilisation, y compris dans son incapacité à se comprendre elle-même. Néanmoins, on y trouve, parallèlement à une passion pour la démarche scientifique, une ironie finale à propos du suspense qui imprègne le livre, un livre finalement prétexte à des argumentaires même s’il construit une intrigue. Face à la menace d’un effondrement, les scientifiques, quand bien même ils comprendraient tout, pourraient se retrouver impuissants et, paradoxalement, vainqueurs. Une victoire qui résiderait surtout dans le fait d’éviter d’utiliser leurs propres pouvoirs. Dans la logique qui est présentée ici, la liberté réside dans l’intelligence de la nécessité. Elle s’exprime aussi dans le fait de dire cette nécessité, de l’expliquer. Si La Variété Andromède est étranger à la réflexion proprement collapsologique ou à l’écologie, mais il fait penser à la place socio-culturelle de la collaspologie de nos jours. Celle-ci incite constamment à l’action tout en insistant sur l’inévitable et sur le caractère dangereux de certains actes. Une certaine vision écologique, fondée sur la croissance verte, serait dans cette optique davantage une partie du problème qu’une partie de la solution.

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