Charles Soule, Scott Snyder : Undiscovered Country, t. 1

« La fuite en avant serait, quant à elle, impossible à concilier avec nos principes, ceux de la préservation de notre avenir. »

Les Etats-Unis se sont brusquement isolés du monde, retranchés derrière un rempart d’acier et de canons. Depuis trente ans, ils n’ont plus donné de nouvelles et chaque tentative d’approche s’est soldée par un échec. Ce XXIe s., pour le reste du monde, est difficile car une redoutable pandémie menace l’humanité d’extinction. Mais brusquement, la réception d’une vidéo en provenance des Etats-Unis bouleverse la donne. Un savant y affirme pouvoir donner au monde un remède à la pandémie. Une équipe d’aventuriers est envoyée en territoire américain pour établir un contact. Elle réussit à franchir le rempart en hélicoptère et découvre sur place un monde allégorique et délirant. Des hordes sèment la terreur en chevauchant des animaux mutants, une incarnation difforme de la destinée manifeste dirige les lieux d’une main de despote et les boiteux de ce monde impitoyable sont lentement mis à mort de manière absurde. Plus généralement, les Etats-Unis ressemblent désormais à un gigantesque jeu de l’oie où chaque portion du territoire diffère du précédent. 

Charles Soule et Scott Snyder nous offrent, avec le premier tome de Undiscovered Country aux éditions Delcourt, un récit dense et enchâssé où les trajectoires se croisent. La violence est endémique et reste la constante d’un univers où l’on frôle parfois l’onirisme. Si quelques personnages ont des motivations altruistes, les autres sont manipulateurs, quand ils ne sont pas hallucinés ou carrément fous. Les Etats-Unis s’isolent pour conjurer leur déclin et se transforment en une aberration, un écho de leur existence. Dans cette nouvelle tentative pour exprimer les contradictions du pays, les auteurs gémissent et se débattent à travers leur œuvre. Ils manifestent la douleur que constitue le fait d’être américain. La grandeur et les fantasmes se bousculent pour exprimer les non-dits. 

L’effondrement s’exprime de deux manières, un cloisonnement volontaire et une pandémie. Aucune des deux n’est à proprement parler écologique mais, comme tous les effondrements, leurs conséquences le sont. L’espace américain est devenu stérile. Il est une caricature de route 66. Le reste du monde est menacé par un virus mortel. Les mesures extrêmes s’y multiplient pour en limiter l’expansion. Les personnes contaminées sont abattues et leurs corps incinérés. L’espèce humaine pourrait disparaitre en laissant ses infrastructures sans que les Etats-Unis en soient affectés. Il existe donc une sorte de dualisme narratif avec un monde présenté comme réaliste et, d’autre part, des Etats-Unis constituant une sorte de bulle délirante. Ils sont un monde désolé, hors-sol, écologiquement invivable mais symboliquement intéressant. 

L’univers américain apparait comme un chemin de croix. Il exprime dans cette fiction les excès d’un mode de vie, celui qui nous menace aujourd’hui avec l’épuisement des ressources, le réchauffement climatique et la pollution. Nous sommes cernés et nous pourrions être tentés par le repli. Ce serait aussi futile qu’illusoire. La fuite en avant serait, quant à elle, impossible à concilier avec nos principes, ceux de la préservation de notre avenir. Mais le regard sombre des auteurs sur leur propre pays dissimule ses capacités d’adaptation, des capacités qui sont inhérentes à son existence. Cette qualité américaine autorise un espoir. Les Etats-Unis pourraient prendre la tête d’une grande transformation écologique mondiale, celle de leur véritable destinée manifeste.

Neil Druckmann, Craig Mazin : The Last of Us

« Elle porte les stigmates de ce qui lui a été imposé. Il ne s’agit toutefois pas d’une révolte, mais plutôt d’une vérole ou d’une sécrétion sans signification écologique. »

Super Mario Bros n’est pas un univers postapocalyptique. Mais rassurez-vous car The Last of Us en est un. L’emprise des champignons sur l’humanité est presque complète. Ils y sont parvenus sans que nous ayons à nous casser la tête (en percutant des briques). En 2003, une infection fongique mondiale a provoqué la transformation de la plupart de nos semblables en créatures agressives et décérébrées dont l’unique but est de transmettre cette mycose. Joel a vu sa fille Sarah être abattue pendant les premiers jours de la catastrophe. Vingt ans plus tard, il vit dans une zone sécurisée à Boston, qui est dirigée par une dictature policière, la FEDRA. Ces zones sont assiégées par le fléau. La pression est constante. Joel et sa compagne, Tess, sont mêlés contre leur gré au conflit qui oppose le pouvoir en place à un groupe de résistants. Ceux-ci leur confient Ellie, une adolescente à la peau dure afin qu’elle soit remise à un autre groupe de résistants. Ellie est en effet étrangement immunisée contre l’infection. Le périple s’annonce particulièrement dangereux.

Conçue d’après un jeu vidéo célèbre, la série The Last of Us en suit fidèlement la trame narrative. La première saison relate une quête des confins parsemée d’embûches avec un duo dont les rapports sont moins rugueux qu’on pourrait le croire. L’adolescente est débrouillarde sans être invivable, le vétéran prudent mais pas sourcilleux. L’intolérance vient de leurs adversaires. Les êtres humains, quand ils s’avèrent hostiles, sont des fanatiques ou des despotes. Mais la véritable menace, latente, est naturelle. Le champignon est irascible, hurlant, mystérieux et trop facile à comprendre. Il ne se soucie de rien d’autre que de sa subsistance. Sa violence est indomptable. Il règle les contentieux. Les humains s’affrontent par leurs désaccords, le champignon met tout le monde d’accord.

Fallout cars
« La guerre ne meurt jamais. »

Cette créature globale, partiellement chtonienne, incarne la nature qui fait peur, celle qui peut surgir n’importe quand. Il est un problème planétaire qui ne cesserait jamais, qui menacerait toujours. La nature est déchaînée, mais quand a-t-elle été enchainée ? Elle a toujours été là, méprisée ou idéalisée. The Last of Us ne met pas en scène la longue patience de la nature et son exaspération. Le champignon s’adapte (sans autre raison que le hasard) aux températures de l’année 2003, avant les variations significatives liées au réchauffement d’origine industrielle. D’ailleurs, le jeu vidéo, qui date de 2013, est commercialisé avant la prise de conscience médiatique que nous vivons aujourd’hui à propos du climat. Si cette histoire est effectivement celle d’un effondrement écologique, celui-ci n’a pas, sauf coup de théâtre, été causé par l’humanité. Le fléau s’impose à nous par l’effet de la roulette biologique.

Dans ce chaos imposé à une Amérique visiblement malade, les héros explorent un monde qui a déjà été conquis avant d’être abandonné à la ruine. C’est une nouvelle exploration de ce qui a été exploré puis ravagé. Mais, cette fois, pas de front pionnier et la nature, même si elle est indomptable, n’est plus vierge. Elle porte les stigmates de ce qui lui a été imposé. Il ne s’agit toutefois pas d’une révolte, mais plutôt d’une vérole ou d’une sécrétion sans signification écologique. La crise de la COVID a sans doute été une bascule dans la prise de conscience des causes écologiques de nos problèmes. Pourtant, elle ressemble davantage à cette fiction fongique dans son principe qu’au problème systémique qui nous travaille et nous dépasse. Les conséquences, en revanche, seront bien similaires à celles de The Last of Us si nous n’y prenons pas garde.