Estelle Faye : Un éclat de givre

« L’autrice exprime son affection et son admiration à l’égard de cette ville en montrant sa délicatesse et la douleur latente qui en émane. »

Dans un Paris violent et feutré, aussi dangereux que complexe, une certaine idée des arènes de Lutèce s’est réfugiée. La crise des ressources qui a ravagé le monde au XXIe s. a fini par engendrer une ville qui concentre son histoire. Paris, dans l’avenir, est devenu son propre condensé. Au centre, l’île de la cité est dirigée par le roi des Gitans, et l’enfer(-Rochereau) est un repaire grotesque de mutilés retranchés dans l’hôpital Cochin. En proche banlieue, des paladins paramilitaires de l’avenir protègent la ville des attaques extérieures. Dans le XIIIe, la bibliothèque nationale est peuplée d’enfant-psys mutants réfugiés qui tirent les ficelles grâce à leurs pouvoirs. Montmartre donne le rythme, lancinant et profond. Le personnage principal, Chet, y chante dans un bar. Il est un jour abordé par un paladin qui lui confie une mission. Celle-ci va l’emmener plus loin qu’il ne le pense. La situation est d’autant plus préoccupante qu’une nouvelle drogue ravage la ville et que la température semble anormalement élevée pour la saison…

Estelle Faye, avec Un éclat de givre, publié en 2014 aux éditions Les Moutons électriques, propose un roman doté d’une apparence, un personnage qui défend une cause alors que rien ne l’y prédispose, d’une perspective, l’écologie postapocalyptique, et d’une substance, Paris. La capitale y est décrite comme sa propre quintessence. Elle a trouvé, dans un avenir difficile, le moyen de coïncider avec elle-même. L’autrice exprime son affection et son admiration à l’égard de cette ville en montrant sa délicatesse et la douleur latente qui en émane. Paris est un îlot et une force. Son intensité la rend invulnérable quelles que soient les blessures qu’elle s’inflige. Malgré un monde effondré, Paris subsiste, meilleure qu’elle-même parce qu’enfin elle-même. L’autosuffisance a créé une ville autonome débarrassée de sa mégalomanie. Ravagée par la criminalité, elle n’est pas une utopie, mais, significativement, elle est seule. La province n’apparait pas.

L’effondrement décrit dans ce roman provient d’une crise des ressources. Il ne se produit pas subitement mais engendre un monde fondamentalement différent. Les élites résistent longuement, tentent de maintenir leur mode de vie dispendieux dans des enclaves, mais finissent par sombrer avec leur incohérence. Le reste de la planète n’est pas accessible. Les autres zones du globe sont mystérieuses et il est difficile de savoir ce qui s’y passe. Paris est un microcosme, celui qu’il aurait toujours dû être si l’histoire du monde l’avait permis. La catastrophe écologique crée un Paris atemporel sans pour autant détruire la ville. Est-ce tellement surprenant ? Celle-ci a bien survécu à Haussmann, menace peut-être plus terrible encore. Avant cette curée, un Paris du futur nous avait été promis. Après, il nous hantait. Nous savions qu’il se préparait, nous voulions seulement le voir. Avec l’effondrement, le voici. Il est transhistorique. Ce Paris assiégé permet aussi, en dépit de sa violence, une tolérance que ne permet pas le nôtre.

La question climatique est centrale mais relève de l’intrigue sans relever du thème postapocalyptique car la planète n’a pas été ravagée par un réchauffement d’origine humaine. Néanmoins, la maîtrise du climat a été un enjeu durant les décennies qui ont précédé l’effondrement. Les deux grands thèmes écologiques que sont l’épuisement des ressources et le climat sont présents mais ne sont pas liés. L’un n’a pas été une solution brutale à l’autre. Les problèmes d’extraction des ressources ont mis fin à une civilisation aberrante pour conter une histoire où notre espèce doit éviter ses anciens errements. C’est un procédé narratif qui, espérons-le, restera fictionnel.