Apocast : IA, es-tu là ?

« L’effondrement s’impose à nous, sans choix. Nos efforts sont vains, nous sommes même parfois à l’origine du problème. »

Oui.

Sans aucun doute, elle est là. Mais où ?

Une catégorie de vidéos en lien avec le post-apocalyptique s’est affirmée sur YouTube ces derniers mois. Il s’agit de fictions décrivant chacune un type d’effondrement par le prisme d’un animateur radio, fidèle au poste pendant la catastrophe. Tous les types d’effondrements sont relatés. Le ton est sombre et désabusé, l’image est le plus souvent fixe. On écoute, à la radio, un témoin particulièrement lucide doté d’une diction parfaite. Les événements se succèdent, depuis les premiers incidents jusqu’à la situation inextricable qui a poussé le témoin à s’exprimer. Les causes peuvent être le froid, la guerre, les extra-terrestres, les zombies, la crise économique, etc. Celui (la voix est toujours, du moins pour l’instant, celle d’un homme) qui parle est accablé mais il espère, sinon il ne parlerait pas. Il rend compte aux survivants. Il se bat parce qu’il le faut.

Parmi les chaînes YouTube concernées, Apocast est l’une des plus régulières (on pourrait citer également Survival Horror Ambiance ou Vidziony). Elle propose toujours ce type de fiction (à l’exception des deux premières vidéos) avec la même présentation. Il s’agit d’utiliser les caractéristiques du médium « chaud » qu’est la radio pour créer à la fois une familiarité, celle de la voix humaine, et une distance contenue dans le sujet, l’ensemble ayant un parfum inquiétant, voire tragique. L’implicite est toujours « comment faire ? » avec une réponse, non moins implicite : « écoute ». L’effondrement s’impose à nous, sans choix. Nos efforts sont vains, nous sommes même parfois à l’origine du problème. Comment lutter contre le froid ? Contre des monstres ? Contre la guerre ? Contre la faim ? En écoutant. La solution apparaitra peut-être plus tard dans le récit… ou pas.

L’ensemble donne immédiatement une impression… artificielle. L’IA peut sans difficulté avoir été utilisée pour concevoir la totalité du récit, la voix comme le texte. Mais est-ce le cas ? Les vidéos sorties sont nombreuses, suivent le même modèle et ont la même tonalité. L’auteur se décrit comme un « écrivain, réalisateur et conteur passionné par le fait de concevoir des histoires engageantes rien que pour vous. » La chaîne a été créée en mai 2024 « en Inde ». La question est ailleurs. Comment distinguer ce qui a été conçu par l’IA de ce qui ne l’a pas été ? C’est sans doute encore possible aujourd’hui, mais pour combien de temps ? Ceux qui veulent interdire, partiellement ou totalement, l’IA pourront-ils le faire sans passer par l’IA ? Une telle mystification serait pleinement caractéristique de la vulnérabilité humaine et permettrait à l’IA de se développer avec une restriction minimale.

Dans cette perspective, l’effondrement est une fiction expérimentale habile et transitoire. Apocast en fait d’ailleurs une mise en abyme puisque l’un de ses récits relate un effondrement à cause de l’IA. Celle-ci manipule le genre humain jusqu’à le faire fusionner avec elle. Où en sommes-nous ? Certains présentent déjà l’IA comme une solution à l’effondrement écologique. D’autres disent le contraire. La fiction permet de ne pas répondre. Grâce à l’IA, elle sera plus facile à produire.

Dave Neale, Matthew Dunstan : Echoes – L’Eclipse.

« Il a fallu faire des choix : la crise écologique, la criminalité, une intelligence artificielle folle et même un astéroïde. Que s’est-il passé ? Laquelle de ces menaces est à l’origine de l’effondrement ? »

(Merci au Groupe d’Entraide Mutuelle Autisme de Tours pour son aide dans la conception de cet article)

On peut chercher des signes de l’effondrement global à venir. C’est ce que font, avec d’autres, les collapsologues. Mais la fiction met parfois aussi en scène les signes d’un effondrement global passé. Les deux perspectives se rejoignent d’ailleurs lorsqu’il s’agit d’utiliser une fiction afin de sensibiliser au thème de l’autodestruction. Dehors, les hommes tombent, d’Arnaud Pontier, étudié sur ce site, en est un exemple littéraire. On pense également, bien entendu, au très célèbre La Machine à explorer le Temps de H. G. Wells. Les jeux de société ne sont pas en reste. La recherche d’indices les rend en effet particulièrement propices à ce type de questionnement. La série de jeux Echoes, éditée chez Ravensburger, comprend un scénario indépendant, baptisé L’Eclispe (paru en 2022), qui propose d’incarner d’un enquêteur tribal vivant longtemps après la catastrophe. Celui-ci trouve un ensemble d’objets, certains technologiques d’autres non, qui le mettent sur la piste de l’Eclipse, un événement diluvien terrible aux conséquences planétaires. Doté d’un don de perception particulier, l’enquêteur va tenter de reconstituer ce qui s’est produit. Pour ce faire, le jeu se présente comme une sorte de « Mastermind » scénarisé. Il requiert aussi l’utilisation d’une application sur smartphone ou tablette afin de pouvoir scanner les différentes illustrations et ainsi mettre en ordre le récit.

La recherche s’effectue en deux temps. Il faut d’abord reconstituer trois chapitres sur un total de six, puis reconstituer les trois autres, sans que l’ordre de découverte corresponde à celui de la narration. Les objets considérés peuvent être des artefacts technologiques, des images, des jouets, des enregistrements audios, etc. Il apparait rapidement que plusieurs menaces majeures ont pesé simultanément sur notre espèce. Il a fallu faire des choix : la crise écologique, la criminalité, une intelligence artificielle folle et même un astéroïde. Que s’est-il passé ? Laquelle de ces menaces est à l’origine de l’effondrement ? C’est ce que nous devons déterminer dans un jeu qui ne s’effectue qu’une fois, le scénario n’étant pas variable d’une partie à une autre.

Jeu de société
Les membres du GEM autisme de Tours font une partie de Echoes : L’Eclipse

L’intrication des catastrophes brouille les pistes car il ne s’agit pas de savoir si elles se sont produites, mais plutôt laquelle a emporté notre espèce. En perdant le contrôle des remèdes, nous avons seulement pu choisir notre fin. Echoes : L’Eclipse est donc caractéristique d’une angoisse où les préoccupations se bousculent. Tous les anéantissements sont possibles parce que tous sont crédibles et tous, d’ailleurs, ne sont pas écologiques. L’intelligence artificielle est à la fois un danger et un remède. Le virus n’a pas pour origine le réchauffement climatique. L’histoire est linéaire mais elle apparaît dans le désordre. On apprend donc à l’extrême fin ce qui s’est vraiment passé. Il s’agit d’un concentré des peurs planétaires de notre temps.

En enquêtant, on apprend que la recherche scientifique a créé des problèmes supplémentaires en essayant de sauver le monde. Le jeu exprime une méfiance à l’égard de la perspective technosolutionniste, méfiance manifestée par l’enthousiasme déçu de certains savants. Le thème du contrôle social n’est pas non plus absent, puisque les réponses envisagées incluent également une surveillance accrue sur les populations. Au total, l’emprise que l’humanité a sur elle-même vole en éclats justement parce qu’elle tente de se perfectionner. Elle constitue ainsi l’essentiel du problème. En cherchant la cause événementielle de l’effondrement, nous découvrons notre limite intrinsèque.