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Jacques Amblard : Apocalypse blanche, La sirène sous la cime

“On ne sait si ses démons sont réels ou imaginaires. C’est un va-et-vient permanent entre des dangers qui sont à la limite du rêve.”

3 % de la population française a survécu. C’est un record mondial. Une série de séismes a ravagé la planète au milieu du XXIe s. tuant l’écrasante majorité de l’humanité. La France, relativement épargnée, reprend sa place au premier rang du concert des nations. Une partie de la Savoie, en particulier la région de Chamonix, tire son épingle du jeu. Ce n’est pas sans importance si l’on considère que la Terre s’est dotée de montagnes qui auraient fait rêver avant l’apocalypse. Le plus intrigant de ces sommets, en Alaska, fascine autant qu’il déroute. Ses 15 000 mètres sont, littéralement, stratosphériques. Très vite, des expéditions s’organisent pour les vaincre. Casselaz, alpiniste chevronné, victime d’abus car élevé par un père psychopathe, est aussi d’une pénible timidité. Au centre de plusieurs de ces ascensions, dès son adolescence, le personnage est mystérieux, faussement absent. Il dissimule plusieurs surprises. Sa relation avec la montagne est aussi toxique que celle qui le lie à son père. Les deux, d’ailleurs, le poursuivent et l’évitent.

Ecrit à la première personne dans un style célinien, Apocalypse blanche, de Jacques Amblard aux éditions La Volte, est sous-titré La sirène sous la cime. Celle-ci semble constamment se dissimuler au regard, elle se cache derrière un récit où les apparences s’enfuient. La véritable sirène (et la véritable cime) reste insaisissable. Le roman est érigé à la manière d’une montagne avec un chapitre central qui, comme un pic perçant les nuages, révèle l’auteur. Il est aussi constellé de notes aussi indispensables qu’impromptues, comme des références érudites constantes à un univers montagnard bibliophile. L’ensemble est à la fois badin et inquiétant. La montagne n’est pas la seule à tuer mais elle est le prétexte de la mort. Casselaz semble se tortiller pour échapper à un destin sans forme.

Apocalypse Blanche

Les tremblements de terre eux-mêmes ne constituent pas un problème écologique d’origine humaine. Ils posent et résolvent un certain nombre de difficultés environnementales. La surpopulation cesse évidemment d’être menaçante mais les milliards de morts sont finalement assez peu présents dans une fiction qui est surtout l’histoire d’un personnage, de ses souffrances et de sa manière de s’en protéger par la discrétion. Outre la douloureuse relation au père, s’ajoute la disparition de ses enfants et une tendance à s’attacher à des êtres toxiques. L’identité de Casselaz est incertaine dans un monde qui, lui, est certain d’avoir été presque anéanti. Si les technologies utilisées sont très avancées, elles manquent de projet sur une planète vidée par les séismes.

Apocalypse blanche n’a pas pour cadre la destruction du monde par la folie des hommes mais la folie des hommes après la destruction du monde. Le personnage principal s’y agite et tente d’échapper à l’agitation. On ne sait si ses démons sont réels ou imaginaires. C’est un va-et-vient permanent entre des dangers qui sont à la limite du rêve. Une blessure originelle est perceptible mais il est difficile de savoir laquelle. Elle affecte constamment Casselaz et s’exprime par plusieurs figures dont il est délicat de savoir si elles sont réelles ou fantasmatiques. La catastrophe a débarrassé le monde de la crise écologique, reste l’alpiniste et ses questions. La nature victorieuse laisse les êtres humains s’occuper d’eux-mêmes puisqu’ils n’ont plus rien à redouter d’autre que la sirène sous la cime.

Geoff Johns, Gary Frank, Brad Anderson : The unamed Geiger

“Geiger peut compter sur la présence impressionnante et fidèle d’un loup bicéphale qui lui sert d’acolyte.”

« Le hasard a voulu que je reste en vie. »

Cette célèbre réplique de samouraï, Tariq Geiger aurait pu la faire sienne. Alors que les missiles qui vont décimer notre espèce approchent de leurs points de chute, il s’apprête à se réfugier dans le bunker qu’il a patiemment construit pour sa famille. Il n’avait pas prévu l’intervention de ses voisins qui, guidés par le désespoir et la rapacité, décident de prendre leur place. Sa femme et son fils réussissent à s’abriter mais Geiger reste aux prises avec leurs agresseurs. Il est emporté par le feu nucléaire. Le traitement expérimental qu’il a reçu pour son cancer le sauve. Soigné par un savant débonnaire, il devient un héros solitaire et taciturne, doté de pouvoirs radioactifs, qui surveille le désert afin de protéger le bunker où, pense-t-il, sa famille survit encore. Mais le monde (accessoirement) et (plus essentiellement) le Nevada, se sont réorganisés et les nouvelles autorités, particulièrement à Las Vegas, ne voient pas la présence de Geiger d’un très bon œil.

Sorti en 2022 chez Urban Comics, The Unamed : Geiger aborde de front la question de l’effondrement. La cause de l’apocalypse est une guerre nucléaire mais on constate une réflexion à la marge sur les écosystèmes avec la présence d’animaux mutants, bienveillants ou non. Tariq Geiger peut compter sur la présence impressionnante et fidèle d’un loup bicéphale qui lui sert d’acolyte. Le désert est en outre envahi de fourmis monstrueuses, dont la prolifération nocturne constitue une menace de chaque instant. L’hostilité d’arrière-plan est celle d’une nature viciée par les radiations, ce cadre épuisant servant de décor aux rivalités humaines. Paradoxalement, les radiations constituent la solution artificielle au cancer du personnage principal et lui permettent de transformer son handicap en force.

Les divers affrontements s’inscrivent dans une chronologie alternative puisque cette bande dessinée est uchronique. Geiger est l’un des « anonymes », ces individus singuliers qui traversent l’histoire du monde sans la marquer mais en l’influençant parfois. L’effondrement est donc un moment pivot qui ponctue un récit plus général caractérisé par des héros transhistoriques. Il occupe cependant une place déterminante en ce qu’il sépare, davantage que tout autre événement, ce qui le précède de ce qui lui succède. On constate donc un rôle particulier de l’effondrement parce qu’il concentre tout ce que le potentiel destructeur de l’humanité peut receler de disruptif. Il crée un monde différent qui singe celui d’avant la catastrophe de manière mélancolique ou bouffonne.

Las Vegas est dirigée par des clans qui évoquent des enseignes de parcs d’attractions mais qui disposent d’une certaine force policière ou paramilitaire. L’ancien gouvernement américain a survécu dans une forteresse. Des groupes de pillards irradiés battent la campagne. Commes dans d’autres comics, la corruption joue un rôle prépondérant. Les uns et les autres cherchent à mettre la main sur ce qui reste d’ogives nucléaires. Les rapports de force sont partout et l’effondrement leur sert de cadre. Il faut dire qu’il est une scène adaptée. L’attente de Tariq Geiger est aussi le désir d’un retour à la normalité, mais l’effondrement n’est pas réversible. Il s’agit de l’accepter afin de pouvoir l’affronter. C’est cette lucidité seule qui permettra peut-être un début de solution.

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