Mad Max a engendré un écosystème fictionnel qui, comme pour toutes les fictions de ce gabarit, dépasse et relègue l’œuvre originelle. La fiction postapocalyptique, désertique et motorisée est présente sur tous les supports, alimentée par tous les financements à commencer par la gratuité (parmi les jeux vidéo en libre accès, on peut citer Crossout). Dans le domaine du film professionnel, sa matrice, de nombreux ersatz ont été tournés, déclinaisons plus ou moins inspirées. The Rover, réalisé par David Michôd et sorti en 2014, n’est ni un hommage, ni une copie. Il est pourtant clair que ce film n’aurait pas existé sans Mad Max. Désert australien, primauté de l’automobile, violence endémique, absence de système étatique, personnage principal solitaire et taiseux, tous les éléments d’une filiation sont présents. The Rover doit l’essentiel à Mad Max, reste l’accessoire et il est important.
L’atmosphère lancinante du film est ponctuée par des éruptions de violence qui ont une saveur d’interjection. Dix ans après une catastrophe mondiale dont on ignore la nature, un homme se fait dérober sa voiture par trois individus en fuite. Il les pourchasse de manière tenace et obstinée pour (croit-on) récupérer le véhicule, une berline d’apparence ordinaire. Le personnage est sobre, précis, sans hésitation. Il avance, inexorablement, tue pour obtenir une arme et s’arme pour tuer. Cependant, il ne se caractérise par aucune prouesse physique. Sa violence, extrême, s’inscrit dans une placide normalité, celle d’un homme sans qualité dans un cadre désolé. Le film donne une impression d’arbitraire. L’homme a un objectif : récupérer sa voiture. Il a une méthode : tous les moyens sont bons. Il a une teneur : le flegme. Cette histoire aurait pu être traitée sur un mode comique ou, à l’instar du Mad Max : Fury Road, en évoquant un opéra-rock, mais le film est lancinant. Sa folie semble sans cause et sans motif.

En la montrant, le film valorise la violence par aporie. Il ne prétend pas la dénoncer, mais il doit fournir un effort pour ne pas avoir l’air de l’apprécier. Le spectateur contemple cet effort, un effort fourni par un insistant dérapage contrôlé cinématographique. Alors que Mad Max crisse constamment, The Rover cherche un souffle. Il réussit en revanche à trouver une intensité dans sa manière de ponctuer la brutalité. Ainsi, la scène où le personnage principal discute avec une femme aux trois-quarts folle pour finir par l’épargner est empreinte d’absurdité. Le dialogue, même quand il a lieu, ne conduit à rien.
Cette esthétique austère et fascinante, dans un cadre catastrophique, donne une impression de plénitude formelle. Celle-ci adresse un habile haussement d’épaules face à la possibilité d’un message et lui préfère un parcours. Ce cheminement s’effectue dans un cadre moins instable que dans d’autres fictions postapocalyptiques, comme Mad Max 2. Les forces de police, même si elles opèrent dans une société qui se délite, existent et fonctionnent encore. Sur ce point, The Rover est plus proche du fonctionnement social du premier Mad Max, bien qu’il n’en adopte pas du tout l’esthétique. La différence entre le film de David Michôd et la fiction qui l’inspire réside le fait que Mad Max considère l’effondrement comme une impulsion. Le monde d’après est en continuelle tension. The Rover, au contraire, décrit un monde affaissé qui trouve son équilibre dans un ressac économique et psychologique. Alors que, dans un cas, l’existence est aux aguets, elle s’abandonne à elle-même dans l’autre. Les points communs sont la violence et l’automobile dans des récits où seul le trajet compte, un trajet dont la possibilité constitue la question centrale car, comme les véhicules, les films ont besoin d’essence.