Antoinette Rychner : Après le monde

« L’inertie climatique continue et menace l’humanité. Elle menace même les améliorations politiques et sociales obtenues grâce à la prise de conscience consécutive à la catastrophe. »

S’il fallait citer un roman qui exprime et synthétise la vision de l’effondrement telle qu’elle a été pensée par Pablo Servigne, ce serait Après le Monde d’Antoinette Rychner, publié en 2020 aux éditions Buchet Chastel. En 2022, un cyclone particulièrement violent frappe la côte ouest des Etats-Unis. Le système économique mondial, qui fonctionne à flux tendus, n’y résiste pas. Les pouvoirs publics font tout pour empêcher la catastrophe. Ils emploient des outils monétaires, politiques, policiers, militaires mais ne réussissent pas éviter une régression globale. Les populations subissent l’incapacité des autorités à permettre les approvisionnements fondamentaux. Les soubresauts, particulièrement meurtriers, durent plusieurs années. Ils passent par un net recul technologique ainsi que des phases de crispations nationalistes et xénophobes, avant de se stabiliser temporairement dans des systèmes sociaux fondés sur la démocratie directe et le respect de l’autre. Les différents chapitres du roman décrivent les trajectoires de femmes aux prises avec les difficultés croissantes de l’effondrement, mais aussi avec l’acceptation du féminin comme une partie de la solution à la violence endémique. La féminisation de la langue est ainsi une réalité constante du roman. Elle exprime un désir de tolérance et d’apaisement. Malheureusement, l’espèce humaine fait ce choix trop tard. Elle est finalement rattrapée, quelques décennies après la catastrophe, par l’accumulation des problèmes écologiques qu’elle a créés.

La question de la perte du confort dans les déplacements, les communications et les besoins biologiques est centrale. Ses inconvénients matériels sont souvent détaillés. Les trajets sont longs et dangereux, surtout pour les femmes et les enfants, l’échange d’informations est beaucoup moins facile, la nourriture est produite localement, la sexualité présente les risques qui sont ceux des sociétés traditionnelles, que ce soit en termes de contraception ou d’infections. Mais c’est d’abord le contraste socio-culturel qui frappe. A l’aisance névrotique et douloureuse de la vie postmoderne succède la fatalité nonchalante et dangereuse du monde d’après. L’ambiance change complétement.

Malgré l’abandon forcé du consumérisme, les problèmes ne sont pas fondamentalement résolus. L’inertie climatique continue et menace l’humanité. Elle menace même les améliorations politiques et sociales obtenues grâce à la prise de conscience consécutive à la catastrophe. La bêtise du système défunt vient abîmer son successeur. On peut y voir, de la part de l’autrice, une forme de contrariété, peut-être même un aveu. Rien ne naît de rien et il sera difficile, même pour la moins mauvaise des sociétés à venir, d’assumer les fautes que nous avons commises. Nous n’avons pas seulement détruit ce que nous sommes mais aussi la possibilité qu’il y ait autre chose.

Le livre est lancinant, triste, perspicace. Parce qu’il est argumenté, il en arrive à être lucide sur ses propres impasses. Tactiquement, il suscite l’espoir, mais à long terme, il s’interroge pour ne pas avoir à conclure. En outre, Pablo Servigne lui-même, dans un entretien réalisé durant la crise de la COVID, semblait se demander si celle-ci ne réfutait pas la thèse de la fragilité du système économique à flux tendus dans lequel nous sommes. Même si cela n’invalide pas les autres types d’hypothèses collapsologiques, il nous faut néanmoins rester prudents quant à un certain nombre de pistes qui, si elles peuvent être intéressantes, doivent toujours être questionnées.